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1 janvier 2013 2 01 /01 /janvier /2013 12:44

 

 

Puis, après des câlins d’au-revoir, tous se séparaient chacun de son côté, durant la journée entière chacun allant vaquer de sa coutumière façon …

 

Et pourtant, sous le régime d’exclusion, son ardeur et son dévouement étaient reconnus au travers de petites tapes dans le dos, façon compliments à un bourricot. On lui disait machinalement :

 

« Tu sais Ahmed, t’es pas comme les autres ! Tu travailles bien toi. Cependant, débrouilles-toi pour aller un peu plus vite. je ne te paye pas pour rien ! »

 

Néanmoins, bien que travaillant très durement, il n’avait réussi à offrir à son épouse et à ses quatre filles, ainsi qu’à son unique fils Nadim, qu’un train de vie plus que modeste dans la rudesse de la campagne mascarienne.

 

Lorsque sa progéniture femelle atteignait l’âge de onze ans, elle n’avait d’autres choix que de quitter le sécurisant logis paternel pour se marier.

 

Car pauvres et se protégeant les uns et les autres, l’âge, l’intimité et surtout le dénuement devaient fatalement s’achever par la dissociation hasardeuse de la famille.

 

En ces années mil-neuf-cent, mieux valait être un homme afin de pouvoir gagner sa  vie et sa liberté éventuelle.

 

Si Laïla avait été un mâle, elle aurait eu l’opportunité d’aider à maintenir l’équilibre misérable des siens en y rajoutant son obole afin de demeurer dans une liberté illusoire, avec d’avantage d’aise au logis familial.

 

A chacun de ses réveils, par peur du mariage qui se rapprochait irrémédiablement, Laïla disait à ses proches:

 

« Il n’y a pas d’amour sur terre ou si peu que je ne suis pas faite pour le mariage. »

 

Sa mère la dévisageait avec amour avant de lui répondre :

 

«  Tu sais tout comme moi, ma fille, que le salaire de ton père ne sera jamais au grand jamais suffisant pour assurer vos existences ! » Ainsi sa fille pleurait souvent par peur du mariage.

 

Dans une union honnête, elle aurait ainsi pu cultiver son amour-propre et sa curiosité. Mais non ! Son impécunieux sort fut scellé comme chez les milliards de pauvres livrés aux régimes féroces. Un destin sans pitié leur est promis : le chagrin foisonnant.

 

La grand-mère de Leïla fut ainsi livrée au mariage à l’âge de dix ans et demi. Elle ne savait pas ce que l’homme attendait d’elle, mais elle le comprit durant la nuit de noces.

 

 Elle n’était qu’une enfant et elle eut un bébé, un garçon, à l’âge de douze ans. Ensuite, son « époux » la répudia pour une obscure question de « différence dans la conception des choses » après douze années où elle fut une fidèle esclave aussi aimante qu’elle le pouvait ; et elle le pouvait.

 

Il est vrai qu’au début du siècle dernier, seuls les hommes avaient une idée « convenable », en tous cas conventionnelle des choses. Ce fut donc à eux que chacun se remettait forcément, puisqu’ils étaient le plus souvent les seuls juges comiques des cités.

 

Et la brute qui avait servi de mari à Laïla était allé en faire voir à une autre gamine qui n’avait pas eu encore d’enfant, car il préférait les corps non déformés par les grossesses ... 

 

Et avec ses copains, il se gaussait de la pauvre Laïla qui n’avait plus rien de désirable selon lui. :

 

 « Regardez, regardez la beauté passer ! » lançait-il en riant avec ses copains à son passage. Ensuite, il lui confisqua leur enfant, car il était un mâle ...

 

À partir du moment où elle fut répudiée, et bien que n’ayant plus d’enfant à charge, Laïla était devenue une fille à marier « le plus vite possible », car elle était redevenue la bouche de plus à nourrir !

 

 Toutefois, divorcée de son mari et âgée d’à peine vingt-six ans, elle subsista durant de longs mois chez ses parents à attendre angoissée ce moment fatidique. Elle occupait son temps à aider sa mère à valoriser le carré de terre défriché par sa famille en secret de l’occupant.

 

Lors des rares moments où elle le pouvait, et à l’abri des regards de commères et compères, Laïla essayait d’attirer l’attention de son fils en rôdant autour de la maison qu’elle habitait jadis. Son père l’ayant remonté contre sa mère, le gamin se sauvait dès qu’il l’apercevait, en lui disant :

 

«  Va te cacher la vieille ! Mon papa m’a tout dit sur toi et sur ce que tu as essayé de me faire … » Et à chaque fois, c’était comme s’il perçait son cœur d’une épée.

 

 Hélas souvent, elle le cherchait en vain ! Puis enfin un jour, durant un furtif instant magique, elle l’aperçut.

 

Son cœur de femme mariée enfant battit fort, tandis qu’elle était tiraillée par deux sentiments : la fierté d’avoir fait un si beau gaillard de sa chair,  et le tiraillement de ne même pas pouvoir lui parler ni pouvoir lui expliquer quoi que ce soit.

 

Puis un énorme sentiment de tristesse s’empara alors d’elle, car elle n’était pas au courant de la décision prise finalement par ses parents concernant son avenir …

 

C‘est surtout auprès de sa mère qu’elle faisait ses doléances en pleurant, et ceci pratiquement tous les jours :

 

« Maman, si tu savais combien Khalid m’a maltraitée … » Puis elle rajoutait, espérant une quelconque pitié :

 

« Et puis il a mon fils, et maintenant il m’insulte dans la rue lorsqu’il me voit ! Chère mère, de plus, je ne pourrais jamais oublier que je l’ai porté durant neuf mois dans mon ventre et nourri de ma substance !», ne cessait-elle pas de dire …

 

À chaque fois qu’elle en avait l’opportunité, elle cherchait des apitoiements en faisant savoir à tout le monde ce qu’on lui avait fait, comme pour se libérer de tout ce fardeau d’angoisse, de stress  et de malheur endurés.

 

 Outre à sa famille, à ses amis, elle se délivrait durant un instant de toutes ces mésaventures et de toutes ces  injustices tombées sur elle comme ça :

 

« …Que dieu maudisse la misère !» Murmurait-elle.

 

Et errant dans la ville en dehors de ses taches journalières, elle espérait une rencontre bienvenue, car heureuse. Puis Laïla vécut dans une violente et profonde appréhension durant des mois, épouvantée par la menace du mariage qui viendrait inexorablement …

 

Deux ans passèrent avant qu’un veuf nanti d’une échoppe d’alimentation ne se présente pour demander sa main. Il avait deux filles pubères proposées au mariage et devait être présent dans sa boutique à toutes les heures. Alors il n’aurait point le temps d’ennuyer beaucoup Laïla ! 

 

Elle aurait ses filles à surveiller, le magasin à entretenir, et leur linge. Bien sûr, la nuit, il lui faudrait s’amuser avec lui pour le détendre ... Il avait tout un programme sous sa djellaba et son bout-filtre pour accueillir Laïla. Un rôle de femme de chambre soumise et une épicière veillant sur ses filles.

 

Durant ce nouveau mariage, Laïla pleura plus souvent qu’elle ne profita de petits bonheurs puisés çà et là, dans ce gouffre de dénis mutuels qu’est le mariage imposé. Ils avaient pour seule valeur commune l’argent et la religion.

 

Aussi les discussions du nouveau couple étaient composées des sentiments, surtout de ceux des autres, et n’étaient qu’abstractions ou accessoires d’introduction à la « grâce divine ».

 

Cela était édifiant pour l’époque, car introduit depuis des misères réelles rendues factices pour effacer la pauvreté d’une telle association, pour continuer de figurer dans la farce d’une union arrangée.

 

Les filles de son nouvel époux s’avérèrent haïssable à l’égard de Laïla. Elles lui tendirent des tas de pièges tandis qu’elle, confiante et naïve, n’en voyait arriver aucun. Donc elle tombait facilement dedans ! Ses belles-filles s’exclamaient très souvent :

 

« Mais où a-t-il été chercher une dinde pareille. Elle croit tout ce qu’on lui dit CETTE CRUCHE Là ! »

 

 Elles ne lui laissaient aucun répit,  s’arrangeant pour transformer en enfer le quotidien de leur pauvre belle-mère.

 

Pourtant elles la voyaient travailler depuis le matin jusqu’à ce que l’obscurité  tombe sur la ville. Elle faisait à manger, briquait les meubles opulents, frottait le linge y compris leurs frusques, tenait la boutique quand Madjid le lui demandait ... Toujours accompagnée des voix stridentes et fines de ses belles-filles ...

 

« Qu’est ce qu’elle a fait de bon manger notre bonne hideuse aujourd’hui ? » disaient-elles, tout en dansant tout près afin de la faire trébucher.

 

Laïla n’avait qu’une petite chèvre esclave pour se confier, dès que le chagrin était trop fort à supporter, elle allait s’épancher auprès d’elle. 

 

Auprès de cet animal sacrifié au désir de la nature des hommes de les posséder, Laïla se laissait aller à de longs sanglots, en faisant des confidences. Elle en oubliait sa pudeur, à l’abri de l’ignorance ambiante, soulagée uniquement par la gracieuse chaleur du caprin.

 

 En dépit de tout, elle eut encore deux grands espoirs d’amitié dans sa vie, car elle eut deux filles. Une au bout de dix mois de mariage, nommée Khadija, puis un an après, elle mit au monde Badra, la mère de Leïla.

 

Peu à peu, son second époux la délaissa en la traitant de moins en moins bien. Laïla fut mise dehors par ses chipies de belles-filles qui ont senti pouvoir se le permettre.

 

Toutes deux n’étaient toujours pas mariées car trop laides. Son époux, loin de la défendre, répudia Laïla par méchanceté en rejetant son engagement moral fait devant l’imam. Par pure malveillance uniquement, il ne lui accorda pas la permission d’emmener ses enfants.

 

Un jour, son petit garçon Malik eut dix-sept ans. Cependant elle se demandait s’il voulait- encore d’elle, lui qui ne lui avait jamais porté une quelconque attention …

 

 Elle n’avait pu le revoir que durant quelques instants au recoin  d’une rue, mais seulement de loin, et trois ou quatre fois depuis tout ce temps où elle était recluse, esclave de son autre maître-mari …

 

 

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