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1 janvier 2013 2 01 /01 /janvier /2013 12:33

 

Le père de Leïla eut du mal à garder son sérieux. Mais sa volonté demeurait dans le fait de s’éviter des histoires rétrogradantes, dignes de l’enfance, et selon lui menant aux spectacles non rémunérés. Placidement, il dit :

 

« Si tu m’expliquais plutôt la raison de ton humeur détestable, plutôt que de nous battre ? Tu sais, j’essaie de faire comme toi, juste de gagner ma vie honnêtement, tout comme toi ! Ne donnons pas de spectacle dont nous laisserions des traces ... Je ne sais pas moi ! Trouves toi le courage de m’expliquer  toute cette animosité qui t’habite et dans laquelle tu te complais ! ».

 

De plus en plus rouge, proche de la congestion, Kader dit avec des trépignements d’impatience :

« Tu ne comprends pas les hommes de valeur comme moi ! Tu es bien la chiffe molle que j’ai toujours méprisé, et j’avais bien raison ! Regarde-toi, tu te dégonfles comme le ballon plein d’air que tu es ! Espèce de poltron ! »

 

« Moi je n’ai absolument rien à me reprocher ni à t’expliquer quoi que ce soit. Vois comme tu te désenfles ! Tu n’es qu’un pourri.  En te marrant bien, tu as eu la volonté de me ridiculiser ! Demain, nous verrons bien de qui tout le quartier se moquera ! »

 

 Kad écoutait d’une oreille attentive, et Kader reprit :

 

«  Exactement à mi-chemin entre ton magasin et le mien, nous nous battrons. Toi contre moi, et nos deux chiens entre eux, et tu verras de quoi mon animal est capable !… » Le père de Leïla accueillit ces derniers mots avec mépris.

 

«  Si tu ne viens pas, tu passeras pour un lâche devant tout le quartier, et cela ne m’empêchera pas de venir ensuite te châtier dans ton propre magasin ! Et tu verras de quel bois je me chauffe ! » Conclut l’homme à la bouche pavée de dorure.

 

Il avait à ce moment les yeux grands ouverts et injectés de sang. Ils étaient écarquillés de colère. Il vint invectiver Kad tout près, de façon à lui faire sentir son haleine parfumée au tabac à chiquer et d’effluves de café froid. Le paternel de Leïla s’en écarta en le dardant du  regard et lui dit :

 

« A demain alors, puisque tu ne veux rien savoir ! »

 

Le lendemain matin, après une nuit fraîche, le ciel dégagé de nuages laissait le soleil percer à l’horizon sans obstacle. Mais à cette heure de l’aube, les rues de la ville restaient encore humides et froides. Kader et son chien arrivèrent assortis d’une écharpe de même couleur. Ils descendirent vers le magasin de l’ennemi déclaré.

 

Il y avait le père de Leïla menant Dick, remontant la même voie. Il n’avait pas d’autre choix devant l’homme en colère qui avait raconté partout être capable de le faire fléchir à coups de poings.

 

Les deux hommes étaient décidés à se battre, tous deux pour ne pas être ridiculisés, ne pas être vaincus, sauver leur amour-propre, leur  revêtement primordial.

 

Le respect de soi est la seule chose possédée par le vivant pouvant lui perdurer. C’est la raison pour laquelle il faut toujours le préserver pour ne point l’oublier quelque part et en être blessé à vie.

 

La rue où étaient érigés les magasins n’est pas large, sans pourtant être étroite. Elle pouvait contenir deux sens de circulation si l’on ne se garait que d’un seul côté. Cela dit les trottoirs étaient un peu ténus pour la bonne circulation des piétons.

 

Les deux hommes se rapprochaient ... Distants de trente mètres, ils ne l’étaient plus que de vingt l’instant d’après, dans une ostentation de détermination implacable. Les chiens tiraient chacun sur sa laisse en grognant, suivant les intentions ressenties de leurs maîtres.

 

Ils faisaient écho à l’animosité qui habitait les hommes dont ils étaient les compagnons. Leurs gueules étaient menaçantes, toutes deux exactement de la même façon. Ils marchaient d’un pas lourd, massifs, la tête basse, remuant au rythme de leurs pas.

 

 Les deux hommes, le menton haut, le regard fixe, ne quittaient pas des yeux le chien adversaire. À partir de là, subitement, le cerbère à la dent en or commença subitement à secouer la tête, après avoir plissé ses yeux, qui se firent soudain fuyants. Puis il se mit à couiner. Son pas devenait de plus en plus hésitant, tandis que Dick continuait à avancer d’un pas sûr. Il était le chef de meute qui voulait protéger son ami, et l’autre n’était qu’un pauvre chien de prétentieux ayant atteint la mesure de son courage, refusant de se sacrifier bêtement …

 

D’un seul regard profond, pénétrant, prolongé, les deux animaux s’étaient jaugés et s’étaient départagés sans bataille. Celui à la gueule couronnée d’or commença à reculer, tandis que Kader, responsable de ce combat de corps et d’esprits, devint blême.

 

Tous les spectateurs du duel furent possédés de fous rires ininterrompus dans une cruelle cacophonie générale. Ce fut l’apothéose de la scène. Il n’était plus question pour Kader à la gueule d’or de se battre. C’était devenu pour lui le moment d’aller se coucher, se cacher, pleurer, rentrer dans les jupes de sa mère …

 

Humilié, Kader lâcha avec une voix un brin lyrique,  désemparé :

 

« Pourquoi vous moquez-vous de mon chien ? Bande de galeux ! … Misérables ! »

 

La foule arrêta de rire pour se faire menaçante. Il y eut un brouhaha d’insultes en réponse aux siennes. Il couvait dans l’air une menace imminente de bagarre. Convaincue de la faiblesse et particulièrement de la vanité du pauvre Kader, la foule suggéra bientôt le lynchage.

 

Le père de Leila ne voulait cependant pas de l’humiliation de Kader. Il dit :

 

« Mes amis, cet homme est fatigué et ne veut pas sérieusement nous insulter. Laissez-le rentrer chez lui afin qu’il puisse se ressourcer ! »

 

Kader « la gueule en or » ne regarda plus son adversaire ni la multitude de têtes moustachues, comme la sienne, mais à l’air ironisant à son égard. Il tira sur la laisse de son chien apeuré, qu’il consola d’une légère caresse, et rentra chez lui d’un pas humble. La foule, radoucie, voyant en lui le piteux humilié, s’écarta de lui à son passage.

 

Que de fois ses parents racontèrent à leurs enfants les aventures de Dick premier le magnifique ! Le plus étrange dans cette histoire était de savoir que ses anciens « propriétaires », cette famille de général de l’armée des occupants, s’était débarrassée d’un chien si génial !

 

 Puis, un jour, Dick revint des courses malade et mourut sans pouvoir être aidé par quiconque. Une personne du voisinage restée anonyme lui avait fait manger quelque chose contenant du poison ! Un sadique innommable …

 

Néanmoins, le chien attendu par la fillette tardait tant à trouver sa place à ses côtés. C’était décidé. Pour tous les membres du foyer il s’appellerait Dick deuxième, afin de rappeler par son nom l’illustre disparu qui avait marqué tous ceux qui l’ont connu. Loyal, noble, fier et honorant les personnes qui l’aimèrent.

 

Comme la présence du Dick vivant devenait nécessaire à Leïla ! À aucun moment elle ne cessait de penser à son nouvel ami. Sa robe fauve et grise, son petit corps maigre, et surtout ses grands et bons yeux si tristes qui allaient retrouver la chaleur, la joie et la santé par l’amour d’un autre être, de son vivant.

 

C’était sûr, la fillette était déterminée à tout faire pour qu’il soit considéré et aimé ... Elle allait le voir très souvent, et l’entrainait à répondre au nom choisi par la  famille.

 

Leurs relations évoluèrent à un tel point que lorsqu’il la voyait de loin, il la reconnaissait et se juchait alors sur ses pattes arrière … Mais ses aboiements ressemblaient à des plaintes !

 

Durant un mois entier, Leïla ne cessa d’aller voir son ami Dick. Cela la rassurait de le voir dans la niche improvisée qu’elle avait garni de linge chaud inutilisé. Elle la lui avait apportée avec l’aide de ses meilleures amies qui trouvait cette idée géniale de mettre au chaud un pauvre être soumis aux intempéries.

 

C’était une grande caisse aménagée par des voisins pour abriter un animal qui,  après sa mort, avait trainée, abandonnée dans le coin d’une cour. On la lui avait donnée avec plaisir car ses propriétaires en étaient encombrés. Ainsi donc, ce cœur fidèle et aimant n’aurait plus la destinée d’être utilisé pour garder leurs précieux blocs de ciment. Attaché sa vie durant, blessé sans pitié à la tache par une corde ou une chaine …

 

C’est le comportement cynique dévolu aux hommes d’habituellement et couramment attacher les chiens pour les entraver afin de se sentir face à eux, réellement les maîtres ! Comme le veut l’usage.

 

Tous les êtres vivants sont pris, et utilisés avec la brutalité des individus  sans conscience. Sans culpabilité, ils se créent, selon leur caste, le nom remarquable d’humain en n’accordant aucune considération pour ce qui est éphémère comme eux.

 

Ils sont aptes à  retirer la vie pour s’en repaitre sans état d’âme ! De même, si la vie est quêtée pour un autre usage et ne convient pas à l’attente, ils s’en débarrassent. Ou si la vie convient, ils s’arrangent avant tout pour qu’elle serve leur confort, sans tenir aucunement  compte de la pluralité harmonieuse des espèces terrestres.

 

Les hommes pseudo-civilisés n’ont, par éducation, aucune considération envers le vivant. Ils ont affiné la façon de s’en servir. Pour voir encore le respect, faudrait aller chez les pseudos sauvages chez qui tous sont à l’abri de la misère et ne meurent pas de faim ! Chez eux,  la planète ne se marchande pas, et ils ne savent pas ce que c’est que jeter.

 

Leila chassa de sa pensée le comportement si déplorable et tellement fréquent de ses contemporains, et pensa à Dick. Elle l’imaginait déjà jouer avec elle, se préoccuper d’elle, couché auprès d’elle. Elle le rêvait car elle avait besoin d’être consolée de sa triste vie. Elle avait besoin d’affection et en avait des tonnes à distribuer …

 

Serait-il libre d’aimer et d’être aimé un jour en toute liberté faisant fi à son esclavage comploté ?

 

Le cœur de la fillette se serrait à l’idée d’une telle opportunité pour le chiot menacé du destin de ne rien comprendre de cohérent et ne savoir que souffrir. Sans elle, il aurait froid ou trop chaud sans pouvoir bouger en toute liberté. Il ne saurait que mordre et aboyer durant toute son existence …

 

 

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commentaires

L
un texte triste pour le premier de l'an-<br /> je te présente mes meilleurs voeux! santé- sérénité- et inspiration !<br /> amitiés-
Répondre
A
<br /> <br /> les choses sont ce qu'elles sont en ce monde violent<br /> <br /> <br /> http://ambre.pro<br /> <br /> <br /> <br />

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